Par Claudette Cormier

lundi 18 novembre 2013

Les oiseaux mal-aimés et l'oiseau admiré

« Où vas-t-on demain, Clo? » Germain me demanda. Je répondis : « Hmmm... je ne sais pas trop... au Lac peut-être? Mais ça risque d'être tranquille. Dormons là-dessus et on se reparlera demain matin, d'accord? » Le dimanche 17 novembre 2013 au lever, c'était encore ambiguë dans ma tête. En fait, mes antennes sont encore « molles ». Cette expression, qui a beaucoup fait rigoler Germain et nos amis de La Baie, veut dire que je n'ai pas reçu d'informations spécifiques, de fortes attirances pour un secteur donné ou alors pour trouver une espèce particulière. C'est la petite voix intérieure. Bref, j'y vais plutôt avec la logique aujourd'hui. Puisque La Baie et Saint-Fulgence ont été couverts hier par les ornithologues, nous optons finalement pour le Lac Saint-Jean. Comme j'aime bien me fixer un but, allons vérifier s'il n'y aurait pas un Harfang des neiges dans ce secteur.

Une heure plus tard, nous voilà rendus à Saint-Bruno. Notre premier arrêt s'effectue à la coopérative agricole. Cet endroit peut abriter des Plectrophanes lapons à cette période de l'année. En même temps, les silos des fermes qui se voient au loin font d'excellents postes de guet pour les harfangs, que nous vérifions à partir de ce site. Mais très rapidement, ce sont les Moineaux domestiques qui attirent notre attention. Avec le redoux d'aujourd'hui, les mâles chantent gaiement, ce qui plaît à nos oreilles. Les oiseaux sont posés sur toutes sortes de structures anthropiques avoisinants le silo de la coopérative. Le plus discrètement possible, nous stationnons la voiture près d'eux. Nous demeurons dans le véhicule afin que je puisse profiter de l'occasion pour faire quelques séquences vidéos. Par la suite, nous nous sommes mis à parler de cette espèce qui, malheureusement, se voit de moins en moins dans la région. Le même phénomène se vit au Québec, l'espèce étant fortement en déclin. Il y a des localités où l'espèce a complètement disparu, comme c'est le cas à Saint-Fulgence. C'est tellement dommage! Ça nous rend bien triste lorsqu'on y songe. Et comme cette espèce est plus ou moins aimés par les gens en général, voir indifférent à son égard, leurs chances de survie dans le temps ne tient à pas grand chose. Dans le fond, qui se préoccupe des vulgaires moineaux? En filmant ces oiseaux, je me suis dit qu'un jour, ces clips seront peut-être historiques. Et si cette espèce allait éventuellement disparaître de la carte de la région dans 50 ans?

 Moineau domestique, un beau mâle


Moineau domestique, une jolie femelle

Soudain, nous repérons six Vachers à tête brune immatures parmi les moineaux! Nous sommes toujours content d'observer des vachers. Dans le même sens, cette espèce est en forte régression, dans notre région du moins. Il y a vingt ans, il était régulier de voir des groupes de vachers se déplaçant par centaines à la fois, comme des étourneaux. Aujourd'hui, il faut les chercher et lorsqu'on en voit, c'est souvent dix individus et moins en même temps. Encore une fois, les vachers n'ont pas la cote d'amour auprès de la population. Personne ne s'en soucie vraiment. Cette espèce est devenue rare au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Fait inusité, il est plus facile de trouver un Pygargue à tête blanche que d'observer un Vacher à tête brune en 2013! Avec émerveillement, je prends également un clip d'un vacher, celui qui est le plus près de moi. Aujourd'hui, je suis un témoin visuel que ces deux espèces mal-aimées existent encore, mais en petit nombre.


 Vacher à tête brune immature avec un moineau

Lorsqu'on a fait le tour du site de la coopérative, nous reprenons la route 170. Sur cette route, je vois soudainement quelques dizaines d'Étourneaux sansonnets qui s'alimentent avec avidité dans un fossé, ce dernier encore très verdoyant pour un mois de novembre. Je demande à Germain de garer la voiture sur l'accotement. Je suis peut-être la seule, mais j'adore regarder les étourneaux. Il faut croire que j'ai le béguin pour les mal-aimés... À cette période de l'année, leur plumage est constellé de petits points blanchâtres et les plumes de leurs ailes sont lisérées d'une belle bordure fauve intense. Lorsque le soleil brille, leur plumage irise les couleurs d'un arc-en-ciel! Même si cet oiseau n'a pas un physique aussi attrayant comme celui du Merle d'Amérique par exemple, je le trouve très beau. On s'entend pour dire que l'étourneau n'est pas une espèce menacée, mais est-ce une raison pour ne pas l'observer et l'admirer?


Groupe d'Étourneaux sansonnets


Les étourneaux qui s'alimentent


Une brochette d'étourneaux

Patrouillant le reste de la route 170 à Saint-Bruno, nous effectuons des arrêts successifs afin de scruter aux jumelles chaque poteau et chaque piquet de clôtures dans le but de trouver un harfang. À notre grande surprise, les champs sont vides d'oiseaux à part quelques Grands Corbeaux (que j'adore aussi).  Mais, voyons donc... Même pas une Buse pattue? Mais où sont ces buses, ma foi? Pfff! Le désert... Nos pensées se bousculent un peu. Peut-être aurions-nous dû rester au Saguenay pour observer aujourd'hui? Bon. Puisque nous sommes là, essayons d'être plus positifs et productifs.

Les champs ici n'ont rien donné. Nous devons décider de notre prochaine destination : Hébertville, Saint-Gédéon ou Métabetchouan? À l'intersection où il y a des feux de circulation, Germain demande mon avis : « Veux-tu prendre cette route ou bien prendre un rang vers Hébertville? » Indécise et en haussant les épaules, je pointe du doigt la route qui mène à Saint-Gédéon, mais sans grandes convictions. Nous poursuivons alors notre chemin sur  la route 170. Nous nous arrêtons à nouveau près des champs labourés pour chercher le hibou blanc qui brille par son absence. Encore rien. Soudain, Germain me suggère de prendre un certain rang, puisque l'année dernière, il y avait eu des Alouettes hausse-col et des Plectrophanes lapons. Nous effectuons donc un virage serré et nous empruntons le rang 3 qui est toujours dans les limites de Saint-Bruno.

Un arrêt par ici, un arrêt par là... Rien. Les champs sont toujours vides. Il n'y a que le vent qui sifflent dans nos oreilles. Un peu déçus, nous effectuons l'un des derniers arrêts dans ce secteur avant d'aller dîner à notre camp de base. Il s'agit d'un restaurant à Saint-Gédéon que nous fréquentons depuis 25 ans, minimum! Sans farce! Restant dans la voiture à cause du vent qui me gèle, j'effectue un « scan » aux jumelles au-dessus des labours. Hmmm? C'est quoi ça? Un pigeon bariolé? Je demande à Germain de vérifier avec moi cet oiseau immobile dans le creux d'un labour. Au préalable, il pensait que c'était un déchet, puisqu'il y a plusieurs papiers polluant le champ. Soupir. Puis, il y a un moment de silence... Ensuite, Germain rétorque d'une voix allumée : « Hé! Est-ce que ça pourrait être une Mouette de Franklin? » Nous regardons à nouveau l'oiseau  niché discrètement dans le sillon. Sapristi! C'est bel et bien une Mouette de Franklin! Réveillés de notre torpeur, nous ne savons plus quoi utiliser  dans les optiques : les jumelles encore? Le télescope? Les caméras? Ce sera la preuve d'abord! Nous prenons des photos et des clips. Puisque la mouette est coopérative, nous admirerons son plumage plus tard. Mais nous savons déjà que c'est une immature de premier hiver. Eh bien, dîtes donc! Finalement, ce sont les antennes de Germain qui étaient redressées tout à l'heure et les miennes étaient encore molles!

La Mouette de Franklin immature (photo de Germain Savard)

Dans l'heure qui suit, nous observons la mouette sous toutes ses coutures. Bien souvent, elle demeure immobile dans les labours et ne fait rien de particulier. Par contre, par moments, l'oiseau s'envole sur quelques pieds et pique au sol sans crier gare pour gober quelque chose gisant sur la terre humide. Les chances sont que ce soit des vers de terre. Pendant qu'elle effectue des pirouettes aériennes, nous remarquons que la mouette laisse pendre ses pattes lors de son envol. Au début, nous croyions qu'elle était blessée, mais lorsqu'elle se pose sur les labours, elle se tient bien droite sur ses pattes. Nous sommes venus à la conclusion que l'argile mouillée des labours lui collait aux pattes et que durant son vol, c'était trop lourd pour qu'elle les ramènent sous sa queue. Notre hypothèse s'est avéré vrai alors que plus tard durant notre sortie, nous avons vu un Goéland arctique  victime du même sort. Des boules d'argiles mouillées visibles aux jumelles étaient collées aux pattes chez le goéland en vol.


 La Mouette de Franklin immature


La mouette qui s'alimente avec les pattes pendantes


Goéland arctique immature avec des pattes pendantes

Finalement, la mouette s'éloigne de plus en plus avec ses épisodes de vol dans le but de s'alimenter. Elle est maintenant au beau milieu du champ et inaccessible pour une séance de photo supplémentaire. Sur de longs moments, elle ne fait rien de particulier. La mouette se repose et digère. Ayant faim nous aussi, nous nous rendons à notre restaurant préféré pour un dîner très tardif ou un souper hâtif, c'est selon. Nous nous souviendrons très longtemps de cette journée et de cette découverte très inattendue. Morale de l'histoire : aiguisez vos antennes et explorez votre environnement même quand tout semble perdu d'avance. On ne sait jamais. Sinon, prenez du temps afin d'admirer les espèces d'oiseaux mal-aimés qui, dans un avenir rapproché, pourrait disparaître plus rapidement qu'on ne le pense.

lundi 11 novembre 2013

La quête des oiseaux de proies

Nous sommes le 9 novembre. La veille, je m'étais informée des systèmes météorologiques en place ainsi que des prévisions à court terme avec les médias. Mon plan de match s'est cristallisé. Aujourd'hui, nous irons à La Baie afin d'observer les oiseaux de proies. Pas n'importe lequel... les pygargues et les aigles. C'est ma spécialité. De bonne heure, nous quittons notre demeure à Saint-Fulgence. Nous allons avant tout nous taper un déjeuner costaud au restaurant du coin. Toasts, oeufs, bacon, saucisses et fèves au lard au menu. Avec un merveilleux café bien sûr. C'est que ce ne sera pas facile aujourd'hui de tenir bon au froid sur le terrain. Ça nous prendra beaucoup de calories pour contrer les éléments de la nature. En effet, il y a de forts vents du nord-ouest qui soufflent entre 30 et 50 kilomètres/heure. À l'automne, les rapaces aiment ces vents. C'est plus facile pour eux de s'élever et de voyager avec le vent dans le dos. Depuis un bon moment, les systèmes n'ont pas été favorables pour la migration des oiseaux de proie. Puisqu'il y a une fenêtre ouverte dans le temps aujourd'hui, je m'attends à vivre un bon recensement, surtout des pygargues, puisqu'au mois de novembre, ces gros rapaces migrent en bon nombre. Au nord, la neige est présente ce qui devrait les inciter à migrer.

Voilà, c'est fait. Nous nous sommes tapés un bon repas copieux. L'estomac repu, bourrés de calories, Germain et moi nous dirigeons vers La Baie. Cela prend environ une quarantaine de minutes pour s'y rendre à partir de Saint-Fulgence. C'est pour moi un supplice d'être patiente en attendant d'arriver. Faire du rapace pour moi est un réel bonheur et je voudrais déjà être sur place en claquant des doigts. Mais... nous serons à La Baie vers 9h.

Nous empruntons le boulevard Saint-Jean-Baptiste. Pendant que Germain conduit, je regarde le ciel au cas où je verrais un rapace en migration. Soudain, un mouvement attire mon attention à ma droite. Volant au-dessus d'un champ le long de la route, je détecte un hibou! Au début, je croyais avoir affaire à un Harfang des neiges. « ARRÊTE, GERMAIN! ». Due à la tonalité de ma voix, Germain freine illico et se gare sur l'accotement faisant lever un nuage de neige. Un moment de silence passe pendant que je braque mes jumelles sur le hibou. Oh! C'est un Hibou des marais! De toute urgence, nous sortons du véhicule pour l'observer davantage. Avec son vol papillonnant, le hibou se déplace très rapidement puisqu'il a une escorte de corneilles qui le talonne et qui s'époumone pour le faire déguerpir. Puisque le Hibou des marais est en déclin depuis un certain nombre d'années, nos observations de cette espèce dans la région sont toujours très appréciées. En quelques secondes, le hibou traverse la route, passe devant nous et disparaît rapidement de notre champ de vision. Heureux de cette rencontre avec cet oiseau, nous poursuivons notre route vers La Baie. Hé-Hé! Nous y sommes presque!


 Hibou des marais en vol

Après avoir franchi tous les feux de circulation et après avoir enduré la lenteur du trafic, nous voilà rendus sur le stationnement du Musée du Fjord. Aussitôt sorti du véhicule, nous constatons que le vent est vraiment vif et mordant. C'est toujours plus froid ici. Non! Que dis-je? C'est toujours plus frette à La Baie, l'endroit étant un corridor naturel où le vent s'engouffre. Puis s'ajoute l'humidité du mois de novembre sur le bord de l'eau. Habillés au maximum, mes bras ne touchent plus mes flancs, comme on le voit parfois chez un culturiste surdéveloppé. Je porte sur moi un T-shirt, un gilet col-roulé, un gilet épais en laine, un foulard et une grosse doudoune.

À première vue, tout m'a l'air tranquille dans les alentours. La piste cyclable est complètement vide de monde et les battures sont désertes à part une poignée d'Oies des neiges qui s'alimentent devant nous. Quand je pense qu'il y a deux semaines, nous étions dans l'ivresse des oies et de leur cacophonie. Eh bien! Elles ont fini par migré.


Une piste cyclable vide


Ce qui reste des Oies des neiges


La marche des Oies des neiges

Ah! Voilà nos amis Serg Tremblay et Hugues Simard qui arrivent, étant avisés au préalable. Les optiques sont installés et après nos salutations chaleureuses, on se met tous aux jumelles pour scruter le ciel à la recherche des Pygargues à tête blanche et des Aigles royaux. Dans la demi-heure, Serg s'écrie : « Un pygargue adulte! » Et les festivités commencent...

En novembre, La Baie est tout prescrit pour l'observation des oiseaux de proie, en particulier les pygargues et un peu moins les aigles, puisque ces derniers ont plutôt migré en octobre. Les rapaces qui arrivent du nord franchissent la chaîne de montagnes des Monts-Valin qui ceinture le nord de la région. Les pygargues traversent ensuite la rivière Saguenay et survolent d'autres montagnes avant de traverser les eaux de la baie jusqu'à nous. C'est là que nous les attendons alors que ceux-ci s'élèvent pour prendre de l'altitude. Après leurs traversées, les pygargues et les aigles poursuivent leur route vers la réserve faunique des Laurentides en direction du sud. Croyez-moi! Ces montagnes sont un pur bonheur pour les amateurs d'oiseaux de proie comme moi. Par contre, un télescope est essentiel pour leurs identifications à longue distance.


Serg et Germain au travail


Hugues et Germain qui jasent


La baie lors de la marée basse (ilet à gauche)


Le bonheur : les montagnes qui accueillent les rapaces


La chaîne des Monts-Valin enneigée derrière

Au bout de quelques heures, nous commençons tous à geler. Serg sent le froid franchir une à une ses vertèbres et frissonne. Hugues lui, commence à greloter. Quant à Germain et moi, nous avons froid aux pieds. Pour nous réchauffer, nous effectuons quelques pas de danse discrets entre des séances de jumelles.

« Pygargue adulte! » criais-je. Encore un. Nous nous délectons à le voir voler et migrer près de nous. Nous poursuivons ainsi, à faire des vérifications régulières aux jumelles en bavardant de temps en temps, la tête rentrée dans les épaules à cause du vent froid. À l'heure du midi, Hugues nous quitte, le corps grelottant. Et pour cause! On se sent comme dans l'Arctique. Ainsi, un vénérable soldat est tombé. Nous continuons les observations avec Serg. Cependant, le temps froid, venteux et humide grugent de plus en plus nos énergies et siphonnent nos précieuses calories.

Vers 13h, nous avons en cumulatif  huit pygargues (deux adultes et six immatures) en migration! Pas d'aigles aujourd'hui. C'est au tour de Serg de nous quitter maintenant. Les pieds qui gèlent sont meurtriers pour le reste du corps qui n'arrive plus à se réchauffer. Une heure après, n'en pouvant plus non plus, c'est à notre tour de trouver refuge pour se réchauffer. Même que, Germain faisait un début d'hypothermie. Il grelotte sans pouvoir se contrôler. Quant à moi, mes rotules d'épaules surchauffent et brûlent littéralement à cause des efforts soutenus, ayant toujours les bras relevés. Ainsi, nous nous ruons au restaurant pour manger, boire des breuvages chauds, enlever nos bottes et se réchauffer! Vous dire que La Baie en novembre est traitre pour le froid, c'est peu dire!

Malgré ces inconvénients, nous sommes très heureux de notre journée avec tous nos pygargues en poche. Cependant, rien n'a été acquis. Nous avons fait des efforts à la limite de nos capacités physiques. Le bedon bien remplie, le corps réchauffé, le rose revenant sur les joues, nous partons de La Baie pour retourner dans notre havre à Saint-Fulgence. Ce fut une magnifique journée!


Un Pygargue à tête blanche immature en migration